Comme un méthane douteux sur une table de marbre

Louve basse paru en mars 1976, l’hebdomadaire Les Nouvelles littéraires proposait l’automne suivant un dossier intitulé NOTRE AVANT-GARDE et en intronisait Denis Roche à la rédaction en chef. Le dossier se composa donc d’un texte de Denis Roche : Deux ou trois choses que je sais d’elle,  reproposé ci-dessous, d’un texte de Philippe Sollers suivi d’un entretien avec ledit, d’une bande dessinée de William Burroughs et d’un texte de Christian Prigent.


 

Cellule Max Stirner. Communiqué du 18 mai 2023 :

« Il n’échappe ni au théâtre de la parole, ni à la Loi qui s’y représente : car la Loi se produit non dans ce qu’il dit mais en ce qu’il parle ».

 


 

Denis Roche :

Deux ou trois choses que je sais d’elle,

Les Nouvelles littéraires, n°2555,

21 octobre 1976, p. 17 et 18

 

 

De ce Deux ou trois choses que je sais d’elle-là, il s’observe :

– a) qu’il est extrêmement rare que Denis Roche, qualifié par Christian Rosset de « titrier exceptionnel », emprunte tel quel un titre sans aucunement en jouer ou le modifier – en l’occurrence, ce titre est antérieurement celui d’un film de Jean-Luc Godard sorti en 1967 ;

– b) que les références au cinéma y sont exceptionnellement, et à dessein, nombreuses ; la, là encore, rareté des évocations cinématographiques dans les productions de Denis Roche explique probablement que ses rapports à cet art, y compris dans les recensions de La Disparition des Lucioles, n’aient jamais été considérés, et encore moins étudiés ou analysés – il n’est pourtant pas insignifiant que les Cahiers du Cinéma ai(en)t publié des textes de Denis Roche, comme il ne l’est pas davantage qu’il en ait signé dans À suivre ;

– c) qu’il est contemporain de la rédaction du Dépôt de savoir & de technique n° 7, « Uacalli » (23 juillet-14 novembre 1976) ;

– d) que les Dépôts de savoir & de technique s’y intitulent alors « Dépôts de technique et de savoir », précisés comme « en travail pour quelques années encore » (§ 11) ;

 

– e) qu’en cet automne 1976, la revue trimestrielle Tel quel publie concomitamment (p. 25 à 37 du numéro 67) le Dépôt de savoir & de technique « Au-delà du principe d’écriture », de Denis Roche, montant pour la première fois ensemble textes, photos et planches-contacts. Denis Roche y pose une très godardiennisable équivalence : « Dépôt de savoir & de technique = planches de contact du moût du monde » ;

 

– f) qu’enfin cet article de Les Nouvelles littéraires est illustré d’un large bloc de quatre photographies : trois portraits (Jacques Lacan, Louis-Ferdinand Céline et James Joyce) et un photogramme (de Salò ou les 120 Journées de Sodome, de Pier Paolo Pasolini), avec légende de Denis Roche : « Lacan, Céline, Joyce, Les 120 journées : manifestement, c’est quelque part par là que ça se passe, non ? ».

 


 


Notes, notules et scolies :

* Dans les écrits de Denis Roche, les citations, mentions, références, allusions et hommages à Pier Paolo Pasolini comme à Jean-Luc Godard ne manquent pas, toutefois concentrées dans les Dépôts de savoir & de technique, La Disparition des Lucioles et conséquemment Temps profond. Parmi quoi, ainsi :

Ce n’est pas une image juste, c’est juste une image ». Godard avec – a Bologna il 5 marzo 1922 da Carlo di Pasolini, tenente d – « la démarche de Jack Palance, surtout dans le Mépris de Godard où Palance joue à se caricaturer lui-même – volonté pasolinienne de s’investir enfin dans l’éclat sombre du sexe enfin trouvé de la mort – le cinéma est plus dissuasif, un peu plus mou, même quand c’est Godard – Pasolini, sorte d’Antigone mâle en appelant au défi final, à l’exaspération fatale, à l’entrée éclatante dans la « fin de la phrase », se faisant taper dessus, écraser, laminer, écraser, écraser à n’en plus finir – Pasolini après un 1er rapport debout à Ostie s’appuyan – ans Godard, John Bogus de l’Arkansas Daily (Raoul Lévy) : Come  ! – remplie par des mots, mais seulement par ces cinq-là, ceux de Pasolini. 62. Godard, Cahiers du cinéma, n° 300. Parce qu’il y a été aussi, tout droit. – Pasolini avait souri, passant doucement le plat de sa main sur la table en fer du jardin. C’est la seule fois que nous nous sommes rencontrés. – Noté : « Sexe Art Mort chacun s’accumule sur son orgueil – Chez Godard, on joue sur la répétition de la lenteur et sur le montage. La grande différence entre le cinéma et la photographie, c’est le montage.

* C’est à Jean-Luc Godard que Denis Roche emprunte, sans rien en modifier, un titre de film, pour à son tour, intituler un article, placé sous le chapeau « Notre avant-garde ». Ce film de Jean-Luc Godard aborde et en effet lui aussi conjoint deux problématiques intéressant Denis Roche : le recours orchestré au montage, l’attention et la réflexion accordées à ce trope reconnu majeur, et la fréquentation indurée des productions de Francis Ponge.

(en 1978, Denis Roche intitulera : « Vers la table de montage » la préface qu’il rédigera pour le catalogue de l’exposition John Heartfield au Centre Georges Pompidou – Quant à la multiplicité des renvois à et citations de Francis Ponge dans le film de Jean-Luc Godard,elle est fort pertinemment documentée par la contribution de Sam Di Iorio : « Ponge et Godard : 2 ou 3 choses » dans : Jean-Marie Gleize (dir.), Ponge, résolument, Lyon, ENS Éditions, 2004, p. 193-204).

* Familier de détournements plus ou moins désinvoltes, Denis Roche aura ici laissé inaltéré le titre godardien. S’y lit ainsi une forme d’hommage à un film novateur générisé « essai de fiction » (ou « essai romanesque ») et durant lequel le réalisateur déclare :

« Voilà mon but. Il est finalement autant politique que poétique. Il explique, en tous cas, la rage de l’expression. De qui ?… De moi. Écrivain et peintre. »

Par 2 ou 3 choses que je sais d’elle, Jean-Luc Godard aura dès lors développé une forme, c’est-à-dire existé.

 


 

 

 

 

Remerciements printaniers à Raffaella Carchesio.


 


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